La petite fille pleure. Elle ne sait pas pourquoi. Elle ne sait plus. Les larmes lui brûlent les paupières. Elle veut crier, mais ne le peut. Elle a peur du noir. Peur de ce néant qui l’enveloppe, l’isole des autres ; et elle pleure. Pourquoi la lumière tarde-t-elle à venir ? Pourquoi ce froid qui la pénètre jusqu’aux tréfonds ?
La petite fille pleure. Des heures durant. Des sanglots incontrôlables, des larmes secrètes. Elle pleure de détresse. Personne pour l’entendre. Les larmes ne coulent plus de ses yeux clos. Cela fait si longtemps qu’elles se sont asséchées ! Quand était-ce la dernière fois ? Si au moins elle pouvait se le rappeler…
La petite fille pleure. Inconsolable. Un spasme parcourt son corps. Il n’est pas dû au froid, au noir ou à la douleur. Elle se rappelle maintenant. Elle est vieille et elle meurt. Ce néant n’est rien d’autre que la mort. Sa mort.
Emmurée dans l’infirmité de sa vieillesse, elle pleure. Personne pour abréger sa souffrance. Le corps inerte, sanglé d’appareils, maintenue en vie artificiellement, elle glisse lentement vers le non-être. Seul l’esprit reste indemne dans la décrépitude de la chair en lambeaux. De son cerveau en effervescence surgissent des échos, des voix, des ombres. Serait-ce… ? Oh ! Faites que cela ne soit pas la fin ! Je vous en prie ! Pas encore ! Pas maintenant ! Pas tout de suite… J’ai si peu vécu ! J’ai tant à vivre ! Les souvenirs émergent. Confus, évanescents au début, ils se précisent par étapes jusqu’à devenir des images nettes qui s’animent. N’est-ce pas la voix de sa mère qui l’appelle ? Une voix douce, chantante des gens du sud. Ma mère ? La mort se déguiserait-elle avant de venir vers nous ? Est-ce un dernier artifice pour tromper notre vigilance ? Ne pas céder. Ne pas s’abandonner. Ne pas mourir.
La vieille dame pleure. Je ne veux pas mourir ! Juste un temps. Faites que je vive, juste un peu plus, juste assez pour dire mon amour à cet autre enfant. Celui qui est si semblable au mien dans son enfance, celui qui ne viendra qu’en été parce qu’il habite loin, dans un autre pays, cet enfant dont la mère m’est si proche, si chère, sang de mon sang, fille de ma sœur, ma lignée, ma descendance. Ma pérennité, celle que j’aurais eu si mon fils avait vécu, si mon fils n’était pas mort si tôt, si vite, si jeune… Oh ! faites que je vive jusqu’en été. Quoi ? Suis-je si vieille ? Le cœur est usé. Le corps aussi. Mais qu’importe ? En moi, tout est là. Intact. Jeune, beau, fier, à peine éclos. Comme au début. Comme à l’époque où songer à l’avenir était encore possible. J’ai peur de la mort ! Si peur !
( à suivre )