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Une Femme VI

Immobile sur son lit, elle laisse son corps subir les outrages de la médecine. On la soigne, on s’acharne sur sa chair épuisée, on l’extirpe de l’inconscience, on la maintient en vie. Au fond de son être, Athéna est prête à s’abandonner à la lueur qui l’appelle, qui lui promet la délivrance, qui l’emplit de quiétude, de sérénité. Mais la décision ne lui incombe pas. Aux autres de disposer d’elle. Les médecins doivent choisir entre la mère et l’enfant à naître, et Athéna peut reprendre le cours de son existence. Elle peut à présent refuser son corps à l’homme. Pour qu’elle ne risque plus sa vie, pour ne pas laisser l’homme veuf avec un enfant en bas âge à élever. L’argument est imparable et le souffle de la liberté enivre Athéna. Elle déborde d’énergie, établit de centaines de projets, elle agrandit son atelier de couture, accueille des apprenties, travaille d’arrache pied, et apprécie l’effervescence constante qui l’entoure. Elle devient même amène avec l’homme. N’est il pas malheureux après tout ? Mais Athéna n’est pas triomphaliste. Aucune réflexion vindicative ne s’insinue dans ses propos. Aucune lueur dans son regard gris et limpide. Peu lui importe le malheur des autres. Après tout, l’homme n’est qu’une victime, victime de lui-même, de ses appétits, de son amour peut-être. Cela lui est aussi indifférent. Rien ne paraît retenir l’attention d’Athéna. Rien ne semble l’affecter. Les sentiments, la sensibilité se sont pétrifiés. Jusqu’à la mort du père qui lui indiffère. Quand elle apprend la nouvelle, Athéna ne relève qu’à peine sa tête. Puis, elle se penche à nouveau sur son ouvrage. Pourquoi se presser ? Les morts ont tout leur temps. Les morts peuvent attendre. Tout s’enveloppe dans un voile terne et monotone. Les journées de labeur se succèdent invariables, routinières.

Les proches d’Athéna pensent que l’attachement de son fils pour une ouvrière, pauvre, sans avenir, originaire d’un village lointain, sortirait la jeune femme de son apathie. N’est-il pas trop jeune pour se marier ? Que connaît-on de la vie à vingt ans ? Il lui faut plus d’expérience, plus d’assurance, il faut qu’il profite de la vie, profite de sa jeunesse ! Et puis, qui connaît cette fille ? Quels sont ses antécédents ? Elle semble livrée à elle même, habite seule avec sa sœur en ville, elle fait ce qui lui passe par la tête ! Il faut protéger notre enfant, notre fils unique des griffes de cette fille dissipée ! Qui peut juger de son innocence, garantir sa moralité ? Et si elle était déshonorée ?

Quelque chose palpite dans le cœur d’Athéna. Comment osez-vous !? Comment osez-vous juger les autres aussi légèrement, aussi cruellement ? Qu’en savez-vous ? De quel droit vous revendiquez quoi que ce soit ? De quel droit vous placez-vous au dessus des autres ? Qui êtes vous pour critiquer cet amour ? Qui êtes-vous pour critiquer cette fille ? Que vous importe qu’elle n’a pas de fortune, d’éducation ? Les temps ont changés ! Personne de nos jours ne s’attarde à des considérations d’ordre matériel ! Que vous importe le fait qu’elle n’est peut-être pas vierge ? Qui le saurait si vous ne dites rien ? Qui s’en préoccupe à part vous et votre orgueil misérable ? Vous n’avez pas le droit ! Je ne vous laisserai pas faire ! J’irai moi-même rencontrer cette fille, je la verrai, je lui parlerai, je saurai si elle est telle que vos esprits pervertis l’ont décrite ! Je saurai vous empêcher de détruire sa vie et celle de mon fils que vous prétendez aimer et protéger ! Vous ne savez pas ce qu’est l’amour ! Vous ne l’avez jamais su ! Vous êtes enfermés dans votre égoïsme étroit, enfermés dans votre misère morale, votre mesquinerie et votre petitesse ! Abjectes ! Voilà ce que vous êtes ! Je ne vous laisserai pas faire, je ne vous laisserai pas faire ! Je partirai avec eux mais vous ne gagnerez pas, vous ne pouvez pas imposer votre volonté aux autres ! Moi, je n’ai rien à perdre, je peux très bien me passer de vous ! Mais vous ? Vous ? Pouvez-vous vous passer de moi ? Pouvez-vous continuer vos existences étriquées si je vous abandonne ? Pourriez vous soutenir le regard de la société, supporter les interrogations muettes, répondre aux questions qu’on ne manquera pas de vous poser ? Pourriez-vous répondre sans courber l’échine, sans ciller ? Lâches ! Vous n’êtes que des lâches ! Vous ne me faites pas peur, et mon fils fera ce que bon lui semble ! J’ai aussi mon mot à dire dans cette affaire. Je vous interdis de décider à la place de mon fils, décider à ma place, à la place des autres ! Vous n’avez aucun pouvoir. Vous ne pouvez rien. Vous n’êtes rien, rien !

(à suivre)

 

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