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  • Sans nom

    Quelques fleurs sauvages dans un jardin

    Des coquelicots, des marguerites,

    Des narcisses ou des anémones

    Un arbre

    Des rideaux de pluie, des ruisseaux,

    De l'herbe douce et grasse,

    Des mots nouveaux, sonores et beaux

    Montagne bleue


    Cours, cours petit enfant !

    Imprime l'image dans tes yeux,

    Emporte-la , sans nom, ni visage

     

     

     

  • Une Femme (Fin)

     

    La volonté d’Athéna se dresse comme un rempart face à l’homme et sa mère et les jeunes gens s’apprêtent à leur mariage. Pendant ce temps, la Mort se prépare. Elle sort de son antre. Elle observe, guette. Elle se laisse oublier, se tient prête et ricane. Au moment propice, elle frappe. Vite. Promptement. Bien. Personne n’est préparé, personne ne s’y attend. Athéna encore moins que les autres. C’est qu’elle avait commencé à songer à une vie normale, sans souffrances, sans animosité. Elle commençait à entrevoir un bel avenir pour son fils, pour sa bru, pour elle même… Le coup ne fut que plus rude, plus pervers. Par ce beau dimanche de Pâques, la lumière du printemps a perdu son éclat. La tombe du fils s’ouvre aux côtés de celle du père. Ce père qu’elle n’a pas pleuré parce que son cœur était noir de rancœur. Le doute s’installe dans son esprit. Et si …si c’est Dieu qui se venge ? Si c’est Dieu qui punit mon orgueil ? Athéna ne pleure plus. Son esprit chancelle à nouveau et elle perd ses repères. S’accrocher à quelque chose, ne pas se laisser emporter, ne pas céder, ne pas s’en plaindre, ne pas faillir, ne pas donner aux autres la satisfaction de la voir à terre et désemparée. Résister, résister. Survivre, surmonter l’infirmité, passer outre, vaincre le chagrin, la solitude, la tristesse, l’abîme… Dans l’obscurité, elle croit voir la Mort qui rode, elle croit entendre son rire caverneux. Une lutte acharnée s’engage entre elles. Tu ne m’auras pas, tu ne m’auras pas. Je ne me laisserai pas faire, je ne te laisserai pas m’abattre, je survivrai, je résisterai. Je reconstruirai ce que tu m’as ôté. La fiancée de mon fils deviendra ma fille, je l’adopterai, je ferai d’elle mon héritière, je l’accueille à la place de mon fils, je l’accepte comme chair de ma chair, sang de mon sang. J’aurai les petits enfants que tu me refuses, j’aurai une famille à moi, choisie par moi pour te résister, pour te vaincre. Mais dans cette lutte, la Mort est la plus rusée, la plus forte, la plus aguerrie. Et le vide n’est que plus grand autour d’Athéna. La Mort jubile. Les destins individuels deviennent des éléments disparates d’une réalité plus vaste, plus déchirante, plus tragique encore. La guerre, secondée de désastre, de misère et de souffrance arrive, étend ses ravages, emporte tout sur son passage. Athéna prend les routes de l’exil avec les autres personnes du village. Provisoirement au début. Puis, les larmes s’assèchent et on s’habitue au statut quo. La vie reprend ses droits et Athéna se mêle aux gens qui s’efforcent d’effacer toute trace de malheur, reconstruisent le pays, s’efforcent de recréer les cellules familiales éclatées et se perdent dans une prospérité illusoire. Dans cette fièvre, Athéna n’a pas le temps de penser, et la vieillesse la surprend, isolée, loin de sa terre natale, par delà la ligne de démarcation qui divise son pays et déchire son cœur en deux. Qu’est devenu son monde ? Qu’est devenue sa vie ? Où est la tombe du père ? Où est la tombe du fils ? Où les chercher ? Où les trouver ? Que reste-il du passé sinon les regrets et l’amertume ? Que reste-il du passé sinon ce corps incapable de soutenir désormais le feu qui brûle en elle ? Les spectres des souvenirs se désintègrent dans le silence. La Mort s’approche et découvre son visage. Plus la peine de se dissimuler. L’affrontement est imminent. Maintenant ! Regarde-moi, regarde ! Vois ! Ne me reconnais-tu pas ? Ne m’as-tu pas déjà vue ? Ne sommes-nous pas des vielles amies ? La dame allongée parmi les appareils de survie tressaille. Aucune force humaine, aucune médecine ne peut s’interposer entre elle et sa mort.

    Seule sur son lit d’hôpital, la vielle femme pleure. Elle fait face à la mort. Tu ne m’as rien laissé, ni dignité, ni amour, ni pays, ni patrie. Tu m’as tout pris, tout pris, mais ma volonté reste indemne malgré tes ruses, malgré tes mesquineries. Je lutterai jusqu’au bout, avec acharnement, avec détermination, et je ne laisserai pas tes griffes lacérer mon esprit. J’aimerai fort car tu as peur de l’amour, peur de la force qu’il donne, de sa puissance, de sa capacité à soulever les obstacles, à anéantir les misères, à aplanir les difficultés. Je ne te laisserai pas m’envahir, je me battrai, je vivrai jusqu’en été, j’aimerai cet enfant qui va venir comme s’il était le mien, comme si une puissance divine, plus forte que toi, m’avait donné une deuxième chance, comme si mon père ne m’avait jamais obligée à me marier contre ma volonté, comme si ma vie avait repris la veille de mes seize ans, comme si le temps s’était arrêté. Mais elle sait qu’il est déjà trop tard. La Mort s’avance et lui sourit. Face à face, elle fixe de son regard compatissant le corps immobile. Ne plus souffrir. Ne plus se tourmenter. Un dernier songe emplit l’espace de sa chambre. Est-il trop tard ? Trop tard pour aimer, pour comprendre, pour pardonner ?

    La petite fille a cessé ses pleurs. La vieille dame infirme aussi. La jeune mariée, la mère meurtrie, la veuve de même. Ses blessures, ouvertes, à vif, saignent toujours. Devant elle se tiennent les silhouettes fantomatiques du fils et du père. Mon père, pardonne-moi. Mon fils, pardonne-moi. Je n’ai pas su vous aimer. Je ne puis réparer. Je vous donne tout. Ce qui me reste et encore plus. Je vous en prie ! Ne partez pas ! Pas comme les autres. J’ai tant souffert ! J’ai tant espéré ! Ne partez pas… Mais les échos du passé s’estompent, s’évanouissent. Le livre émoussé de son existence est clos. Définitivement. Plus rien ne subsiste. Le néant l’enveloppe à nouveau.

    Seule sur son lit d’hôpital, isolée des autres, murée dans le cauchemar de ses souvenirs, la vieille dame ne pleure plus.

    La roideur gagne ses membres inertes. La pâleur blafarde de la mort estompe les contours de son visage sur la toile éphémère de sa vie humaine. Un frémissement agite ses paupières closes. Une larme égarée scintille entre les cils sous la lumière crue de sa chambre aseptisée. Un sourire s’esquisse sur les lèvres flétries. De sa bouche blême, entre-ouverte s’exhale le souffle d’un ultime soupir. Elle s’abandonne. La Mort l’enlace, l’emporte. Miséricordieuse.

     

     

    Requiescat In Pace.

     

  • Une Femme VI

    Immobile sur son lit, elle laisse son corps subir les outrages de la médecine. On la soigne, on s’acharne sur sa chair épuisée, on l’extirpe de l’inconscience, on la maintient en vie. Au fond de son être, Athéna est prête à s’abandonner à la lueur qui l’appelle, qui lui promet la délivrance, qui l’emplit de quiétude, de sérénité. Mais la décision ne lui incombe pas. Aux autres de disposer d’elle. Les médecins doivent choisir entre la mère et l’enfant à naître, et Athéna peut reprendre le cours de son existence. Elle peut à présent refuser son corps à l’homme. Pour qu’elle ne risque plus sa vie, pour ne pas laisser l’homme veuf avec un enfant en bas âge à élever. L’argument est imparable et le souffle de la liberté enivre Athéna. Elle déborde d’énergie, établit de centaines de projets, elle agrandit son atelier de couture, accueille des apprenties, travaille d’arrache pied, et apprécie l’effervescence constante qui l’entoure. Elle devient même amène avec l’homme. N’est il pas malheureux après tout ? Mais Athéna n’est pas triomphaliste. Aucune réflexion vindicative ne s’insinue dans ses propos. Aucune lueur dans son regard gris et limpide. Peu lui importe le malheur des autres. Après tout, l’homme n’est qu’une victime, victime de lui-même, de ses appétits, de son amour peut-être. Cela lui est aussi indifférent. Rien ne paraît retenir l’attention d’Athéna. Rien ne semble l’affecter. Les sentiments, la sensibilité se sont pétrifiés. Jusqu’à la mort du père qui lui indiffère. Quand elle apprend la nouvelle, Athéna ne relève qu’à peine sa tête. Puis, elle se penche à nouveau sur son ouvrage. Pourquoi se presser ? Les morts ont tout leur temps. Les morts peuvent attendre. Tout s’enveloppe dans un voile terne et monotone. Les journées de labeur se succèdent invariables, routinières.

    Les proches d’Athéna pensent que l’attachement de son fils pour une ouvrière, pauvre, sans avenir, originaire d’un village lointain, sortirait la jeune femme de son apathie. N’est-il pas trop jeune pour se marier ? Que connaît-on de la vie à vingt ans ? Il lui faut plus d’expérience, plus d’assurance, il faut qu’il profite de la vie, profite de sa jeunesse ! Et puis, qui connaît cette fille ? Quels sont ses antécédents ? Elle semble livrée à elle même, habite seule avec sa sœur en ville, elle fait ce qui lui passe par la tête ! Il faut protéger notre enfant, notre fils unique des griffes de cette fille dissipée ! Qui peut juger de son innocence, garantir sa moralité ? Et si elle était déshonorée ?

    Quelque chose palpite dans le cœur d’Athéna. Comment osez-vous !? Comment osez-vous juger les autres aussi légèrement, aussi cruellement ? Qu’en savez-vous ? De quel droit vous revendiquez quoi que ce soit ? De quel droit vous placez-vous au dessus des autres ? Qui êtes vous pour critiquer cet amour ? Qui êtes-vous pour critiquer cette fille ? Que vous importe qu’elle n’a pas de fortune, d’éducation ? Les temps ont changés ! Personne de nos jours ne s’attarde à des considérations d’ordre matériel ! Que vous importe le fait qu’elle n’est peut-être pas vierge ? Qui le saurait si vous ne dites rien ? Qui s’en préoccupe à part vous et votre orgueil misérable ? Vous n’avez pas le droit ! Je ne vous laisserai pas faire ! J’irai moi-même rencontrer cette fille, je la verrai, je lui parlerai, je saurai si elle est telle que vos esprits pervertis l’ont décrite ! Je saurai vous empêcher de détruire sa vie et celle de mon fils que vous prétendez aimer et protéger ! Vous ne savez pas ce qu’est l’amour ! Vous ne l’avez jamais su ! Vous êtes enfermés dans votre égoïsme étroit, enfermés dans votre misère morale, votre mesquinerie et votre petitesse ! Abjectes ! Voilà ce que vous êtes ! Je ne vous laisserai pas faire, je ne vous laisserai pas faire ! Je partirai avec eux mais vous ne gagnerez pas, vous ne pouvez pas imposer votre volonté aux autres ! Moi, je n’ai rien à perdre, je peux très bien me passer de vous ! Mais vous ? Vous ? Pouvez-vous vous passer de moi ? Pouvez-vous continuer vos existences étriquées si je vous abandonne ? Pourriez vous soutenir le regard de la société, supporter les interrogations muettes, répondre aux questions qu’on ne manquera pas de vous poser ? Pourriez-vous répondre sans courber l’échine, sans ciller ? Lâches ! Vous n’êtes que des lâches ! Vous ne me faites pas peur, et mon fils fera ce que bon lui semble ! J’ai aussi mon mot à dire dans cette affaire. Je vous interdis de décider à la place de mon fils, décider à ma place, à la place des autres ! Vous n’avez aucun pouvoir. Vous ne pouvez rien. Vous n’êtes rien, rien !

    (à suivre)