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La Lettre II

 

Comment vivre après toi ? Que faire ? Que dire pour te retenir, te garder près de moi, te garder dans mon espace vital ? Je te trouverai, je te raconterai combien je t’aime, combien je ne puis vivre sans toi, sans savoir où tu seras, où tu iras. Je te dirai : ne t’en vas pas, reste ! Reste près de moi, car je t’aime, et même ce mot est faible pour exprimer le feu qui me consume ; je souffre quand tu n’es pas là, et aussi quand tu es là sans faire attention à moi, quand les autres absorbent toute ta concentration, quand tu ne me regarde pas, quand tu pars sans mot dire, sans même remarquer que je suis là ; je meurs lorsque tu me parles comme à une connaissance quelconque, comme à quelqu’un qu’on connaîtrait vaguement, mais qui est sans importance, sans réelle consistance. Je te dirai : je t’offre mon cœur, mon souffle et mon existence, pourvu que tu m’aimes en retour, pourvu que tu restes ! Il n’y a pas d’humiliation trop grande, trop profonde que je n’accepterais pas si tu voulais de moi ! Je lui dirai : emmène-moi, emporte-moi, là où tu iras, comme un objet chéri, qu’on caresse, qu’on cajole, qu’on embrasse comme s’il était en mesure de nous rendre cette affection. Je te rendrai ton affection au centuple. Je peux t’offrir tant en échange de si peu ! D’ailleurs, je ne peux pas dire que je n’ai rien de toi ! Amis, nous le sommes. En apparence. Tu m’offres parfois un peu de ton temps, de ton attention. Tu t’attardes pour bavarder quelques minutes. Tu me souris quand nous nous croisons de loin. Mais cela ne suffit pas. Comment peut-il suffire ? Peut-on se contenter de l’infime quand nous n’aspirons qu’à l’absolu ? Parfois, tu t’empresses de partir, tu inventes des excuses qui ne semblent pas crédibles. Tu esquives les questions, tu réponds évasivement et tu disparais, derrière une porte, dans la foule. Hier encore tu étais comme une ombre qui glisse sur les murs et s’assimile à la nuit, insaisissable.

 

Me voici à nouveau seule. La fièvre consume mon corps et mon esprit s’assombrit. Je sens ma bouche s’assécher et je sais que nulle eau ne pourra étancher ma soif. Aucun remède ne peut apaiser la douleur qui me brûle dans les entrailles. Comment est-ce possible ? Comment suis-je arrivée à cela ? Quand cela a-t-il commencé ? Pourquoi je n’ai pu prévenir ce qui m’arrive ? Je n’ose même pas appeler cela par son nom. Je sens autour de moi un chaos qui se creuse, irrémédiablement. Et je sais que tôt ou tard il m’engloutira dans ses ténèbres. Comment y échapper ? Que faire pour arrêter le processus de destruction ? J’ai beau écouter la voix de la raison, j’ai beau insister sur l’absurdité de la chose, je sais qu’elle est là. Destructrice, dévastatrice comme jamais elle ne le fut. Avant, je pouvais me dire que rien ne faisait obstruction à ce que cela s’accomplisse. Désormais cela est impossible. Je suis incapable de contrôler les convulsions qui brisent mes membres et me rendent impuissante à effectuer les tâches les plus courantes, les plus simples. J’ai envie de pleurer, de crier, de hurler. Mon Dieu, quelqu’un ! Aidez-moi ! Je ne puis sortir de ces ténèbres seule, je besoin qu’on m’aide, qu’on me guide, qu’on me conseille. Sa voix, son regard, ses gestes restent imprimés dans mon être et m’obsèdent. C’est lui qui m’obsède, il me possède entièrement, totalement, exclusivement. Je sais que cela ne devrait pas être mais cela est. Suis-je folle ? Suis-je perdue à ce point pour qu’aucune logique ne puisse arrêter ma progression vers l’enfer ? Car, en enfer, je suis. Il n’est pas là. Il ne peut pas être là ! Comment le rejoindre ? Par quels moyens ? Je chuchoterais son nom dans mes rêves, je murmurerais son nom dans son oreille, je lui dirais des mots d’amour, de souffrance et de destruction, je l’aimerais avec mon cœur, avec mon corps et mon âme, je l’aimerais à l’infini, je le seconderais dans sa recherche du plaisir, je supporterais son silence, sa peur, son mépris, son…Non ! Pas cela ! Pas son infidélité. Personne d’autre ne le touchera, aucune autre femme ne souillera son corps tant que je suis vivante. Je le veux, à moi ! Complètement, entièrement, pour toujours. Le désir est si fort que la tête me tourne. Mon corps est secoué de spasmes, la nausée brûle ma gorge et j’étouffe mes sanglots pour faire bonne figure. Viendra-t-il ? Ferait-il ce pas vers ma perte ? Mais en quoi est-il responsable ? Jamais, oh, non ! Jamais il n’est sorti du cadre de la bienséance. Jamais une idée aussi farfelue, aussi folle ne lui a effleuré l’esprit. Innocence. Voilà le mot qui le qualifierait. Seul un esprit pervers et perverti pourrait penser à une évolution de cet ordre. Mais alors, suis-je donc pervertie ? Rares étaient les cas où j’ai pu choisir sans discernement. Pourtant je n’ai pas choisi. Cet amour est arrivé par surprise, en traître. Je me suis sentie noyée dans son regard et je me suis perdue. Je ne l’ai su que dans mes rêves. Il était là, présent, sans mot dire, avec ses immenses yeux innocents, et ce sourire incomparable, serein, calme, sûr de lui comme s’il le savait depuis le début, comme s’il m’avait attendu toute une éternité. Dois-je y aller ? Dois-je laisser les sensations et les sentiments m’avaler ? Ou bien, suis-je obligée de feindre l’indifférence ? Oh ! Cela est à nouveau impossible ! J’ai essayé. Mon rêve est revenu me hanter, démolir le semblant de quiétude que je m’étais construit. Je chuchote les lettres de son nom et chacune d’elle s’imprime au fer rouge dans ma chair et mon âme. Je t’aime ? Je ne t’aime pas ? Mots sans réalité pour l’esprit. Seules la présence ou l’absence ont une existence. La présence est une douce satisfaction d’être près de lui, de pouvoir plonger dans ses yeux, de pouvoir le regarder inlassablement, de guetter son sourire, un éclair au fond du regard, un mot dérobé, un geste, un mouvement furtif qui me serait adressé. Quant à l’absence, elle est une torture raisonnable, pieuse, logique. Mais que faire de la logique, du raisonnable ? Je n’en veux pas! Je le veux, lui ! Peu m’importent les règles, les lois, sociales ou morales. Je m’en moque. Je meurs lentement de son absence et de la jalousie de savoir d’autres femmes proches de son corps, de son regard, de ses désirs. Ceci est un paradoxe. Je sais cela irréalisable mais je ne peux m’empêcher d’éprouver de la jalousie, de la détresse. Que faire ? Comprendre d’abord ce que j’éprouve. Ou plutôt l’accepter. Me voilà à nouveau anéantie par sa pensée. J’enfonce mes dents dans mon bras très fort. La douleur physique estompe un instant la douleur morale que j’éprouve. Mon Dieu ! Ne pas gâcher notre belle amitié, cette relation privilégiée que nous avons construit conjointement. Ensemble, pas à pas, doucement. Un édifice dans lequel je me suis enfermée, où je me suis perdue. Rien d’autre n’a de l’importance. Quand je suis seule, je suis ailleurs, avec lui. Je ne peux imaginer un seul instant sans sa présence. Pourtant, seule, je le suis. Viendras-tu ? Finiras-tu par franchir un pas encore vers ma destruction ? Sais-tu le mal que tu me fais ? Oui ! Tu le sais ! Volontairement. Sciemment. Ton silence me le dit. Ton regard est aussi éloquent que les mots que tu ne prononces pas. Tu t’ acharnes parce que cela satisfait ton amour propre, ton orgueil. Je t’en prie, ne joue pas à ce jeu ! Quel plaisir peux-tu éprouver à me détruire petit à petit ? Sors de mes rêves ! Ne hante plus mon sommeil. Écarte de moi cette chape de plomb qui m’enferme vivante dans un catafalque. Oh ! Je sais. Tu veux me l’entendre dire ? Tu veux assister à mon ultime humiliation ? Eh bien, je le dis : je t’aime. Je ne peux pas vivre sans ta présence. Oh ! Voilà encore cette fièvre qui s’empare de moi, cette frustration de savoir que cela est impossible. Ne puis-je pas substituer ton image à celle d’un autre ? Ne puis-je pas vivre après t’avoir connu ? Je veux imaginer tes lèvres sur les miennes, je veux imaginer un baiser fougueux et interminable, une caresse qui provoquera la fusion de nos deux corps, l’anéantissement s’ils venaient à se séparer. Je dors dans l’espoir de te rencontrer. Et soudain, mon vœu est exaucé. Tu avances dans ma direction. Tu t’approches. Tu es là !

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