Quand la Sirène comprit que son plan avait échoué, elle se mit dans une rage noire. Sa colère était si grande, qu'elle en tremblait ; ses beaux yeux de saphir prirent un teinte orageuse et elle broya dans ses fins doigts d'albâtre un crabe qui avait eu le malheur de passer par là. Comment des simples mortels pouvaient défier ses pouvoirs ? Par quel hasard, le vaisseau du Capitaine maudit avait touché terre avant l'échéance qui lui était donnée ? Qui pouvait interférer dans ses plans au point de modifier le cours des événements ? Il ne fallait plus laisser des intermédiaires gâcher ses projets. Elle décida d'agir rapidement par elle-même. Après une longue réfléxion sur la meilleur façon de procéder, la cruelle Sirène s'engouffra dans une grotte sous-marine où elle cachait les objets qui lui tenaient à coeur. Elle rétira d'un coffre métallique un écrin qui contenait une splendide bague et la passa à son annulaire. Ensuite, laissant derrière elle les sombres profondeurs, la Sirène nagea vers le littoral. Lorsqu'elle fut assez proche de la rive, elle leva les deux bras au dessus de sa tête, murmura une incantation mystérieuse et sortit de l'eau sur une crique isolée de sable blanc.i Sa magnifique queue de Sirène avait laissé place à une paire de jambes, sa merveilleuse peau irisée était transformée en une peau bistre d'humain et sa chevelure d'or pendaient en mêches clairsemées, désordonnées et ternes, de couleur grise. Des haillons puants lui couvraient un corps squelétique. Ainsi parée, elle se dirigea vers le port où elle arriva peu avant minuit.
Sur les quais, les passants commençaient à se faire rares, les bistrots et les tavernes fermaient boutique et les passagers du grand navire étaient depuis longtemps dans leurs cabines. La Sirène déguisée en vieille femme, s'approcha de la passerelle et se glissa furtivement sur le pont du navire sans être vue par l'homme du quart. Sur place, elle se répéra dans le noir et poussant la porte d'une cursive, elle déboucha vers la cabine où dormait le petit Chaperon rouge insouciant, en compagnie de Platon et d'Océane.
La Sirène ouvrit subrépticement la porte et entra. Dans sa couchette, Océane s'agita mais n'ouvrit pas les yeux. Platon recroquevillé sur sa couche ne scilla pas. Phyllis, souriait dans son sommeil. La Sirène fixa quelques instants la fillette et la jugea jolie pour une humaine. Sa peau était blanche et transparente, ses cheuveux épais d'une couleur de miel doré, sa bouche rose comme un coqueliquot, ses mains petites et délicates. Assurément, elle était mignone. Sans plus tarder, la Sirène prit délicatement la petite main de Phyllis entre les siennes et passa l'anneau qu'elle portait sur le doigt du petit Chaperon. Elle resta encore quelques instants pour s'assurer que personne ne se réveillait, et s'en alla, furtive comme elle était venue. Regagnant les quais, elle se dirigea vers la crique de sable blanc et marcha dans l'eau. Dès que l'eau lui ariva à la taille, elle reprit son apparence de Sirène en riant aux éclats, plongea dans les profondeurs et disparut.