- Nos décisions ou nos actes ne dépendent pas toujours de nos désirs, malheureusement ! Les événéments et les circonstances de la vie font que nous devons parfois opter pour une solution plutôt qu'une autre ; si c'est à contre-coeur, nous le faisons en souhaitant le meilleur pour ceux que l'on aime. Je m'en voudrais de te faire de la peine, Phyllis. Mais, malgré mon désir de vous accompagner dans votre tournée en Europe, je ne le peux. Ne serait-ce que par égard pour mon équipage qui a besoin de moi.
La réponse du Hollandais volant attrista Phyllis. De retour sur le navire pour la nuit, elle se plongea dans une profonde réflexion. Durant ces quelques mois qu'ils avaient passé ensemble, la petite fille s'était habituée à la présence du Capitaine à ses côtés. Elle aimait converser avec lui les soirs accoudée au bastingage du navire. Elle appréciait ses plaisanteries tout en gentillesse ou ses conseils avisés. Cet homme cultivé lui avait appris beaucoup de choses en peu de temps. A aucun moment il ne manifesta de l'impatience ou de l'exaspération lorsqu'elle lui posait des questions. Il prenait le temps de lui expliquer mille choses, jouer avec elle, répondre à ses interrogations. Petit à petit, elle comprenait à l'expression de son visage, aux rides de son front, ses sentiments ou les pensées qui l'habitaient. Tout compte fait, le Capitaine représentait l'image du père que Phyllis n'avait pas connu. Soudain, le petit Chaperon rouge trouva que la découverte du continent européen n'avait plus les mêmes attraits qu'auparavant. Elle ne voulait, ne pourrait quitter le Capitaine.
Le lendemain, Phyllis fit part de ses réflexions à Océane et à Platon.
- Tu avais raison, Océane. nous devrions changer nos projets. Et pour cela, il faut en discuter avec le Cracheur de feu.
Le Cracheur de feu écouta attentivement les deux fillettes exposer leur point de vue.
- Ne le prend pas mal, cher Cracheur de feu !
- Je comprends parfaitement, répondit ce dernier. Moi-même je suis très attaché au Capitaine chez qui j'ai trouvé un ami véritable. Pourquoi ne pas rester encore quelque temps avec lui ? Rien ne presse ! Voyager en mer n'est pas désagréable. Nous pourrions visiter plusieurs endroits ! Nous présenterons notre spéctacle chaque fois que nous ferons une escale !
Phyllis fut enchantée de cette décision. Tout irait pour le mieux, elle en était convaincue. Son optimisme naturel reprit le dessus. La seule ombre à son bonheur de petite fille était l'éloignement de sa maman ; mais s'ils décidaient de rester un long moment à Amsterdam, elle pourrait prévenir sa maman afin qu'elle les réjoignît !
Sans perdre un instant, Phyllis raconta au Capitaine leurs nouveaux projets et fit satisfaite de constater qu'il ne soulevait pas d'objections. Avec son accord, elle s'enferma dans sa cabine pour écrire une longue lettre à sa mère. Quand elle termina, elle fit lire la missive au Capitaine qui ajouta de sa belle écriture une invitation personnelle à la mère de Phyllis, de les rejoindre au plus tôt à Amsterdam où le vaisseau resterait amaré jusqu'à son arrivée. Puis, il se chargea lui-même de poster la lettre avant qu'ils ne quittent le Danemark. Et comme le temps s'y prétait, on profita pour découvrir les beautés du pays avant de reprendre la route. Les journées qui suivirent furent chargées en émotions , en rencontres et en souvenirs. Une semaine s'écoula. Cependant, Phyllis s'impatientait. Elle voulait regagner la Hollande afin d'être plus proche du lieu de rencontre avec sa mère. Elle fit la requête au Capitaine qui sourit avec l'indulgeance de l'adulte face à un enfant.
C'est ainsi, sous ces belles perspectives de lendemain que le grand navire du Hollandais volant avec à son bord une joyeuse compagnie, mit les voiles et arriva à Amsterdam.
Arimée sur la roche, baignée de lumière et d'or, la statue de la petite Sirène d'Andersen contemple les flots pour l'éternité. Muette, les yeux emplis de nostalgie et d'espoir, elle attend son amoureux dans une posture immuable.Malgré ses doutes, le Pêcheur s'approcha et de sa main calleuse hasarda une caresse maladroite sur les cheveux de bronze. Il s'attarda quelque peu, puis recula d'un pas. Il inclina la tête sur sa puissante poitrine, il eut un soupir mélancolique. Enfin, de sa voix rude il murmura ses mots.
Amsterdam ! Le vaisseau du Hollandais volant touchait enfin les rivages de son pays natal ! L'équipage, accoudé au bastingage se recueillait silencieux derrière le Capitaine, contemplant les quais de la ville tant désirée. Des centaines de canaux sérpantaient à travers les bâtiments et s'entortillaient autour des rues étroites et arborées. Autour de la gare centrale une foule affairée allait et venait. Des bicyclettes faisaient tinter leurs sonnettes, les terrasses des cafés étaient pleines de monde, des mouettes poussaient des cris stridents comme des paroles de bienvenue.
Le vent gonflait les voiles du grand vaisseau et la mer écumeuse se fendait en deux sur son passage. L'équipage occupait son poste habituel et le Capitaine prit un moment pour souffler et discuter avec ses amis qui profitaient du beau soleil assis sur le pont. Phyllis, le petit chaperon rouge se contemplait dans le miroir enchanté que le Capitaine lui avait offert ; Océane, l'enfant de la Haute-mer lisait un recueil de poésies et le Pêcheur était en train de sculpter une pipe dans un morceau d'écume de mer qu'il s'était procuré en ville. Le Cracheur de feu comme à son habitude s'essayait à de nouveaux tours de magie et Platon l'agneau le secondait dans ses activités.