Circée la magicienne ! Ce nom fascina Phyllis qui ne connaissait pas les oeuvres épiques d'Homère, et n'avait jamais entendu parler de la nymphe aux pouvoirs si particuliers.
"Une créature capable de transformer un être humain en fauve ! C'est vraiment extra-ordinaire ! " dit-elle à ses compagnons.
Le récit du Hollandais révéilla la curiosité du petit Chaperon rouge ; elle se promit de lire L'Odyssée à la première occasion. Elle se dit que si le Capitaine n'avait pas connu cette belle épopée, il n'aurait jamais pu trouver la solution à l'énigme de la disparition de l'équipage. Quant à Océane qui était restée de longues années seule sur son île, elle avait lu L'Iliade et L'Odyssée qui faisaient partie de la bibliothèque de son école.
- Dès la première occasion, je t'offrirai les oeuvres d'Homère, promit le cracheur de feu. Ce sera l'occasion pour moi aussi de me cultiver un peu. Quand j'étais enfant, je n'aimais pas beaucoup l'école et je n'écoutais pas toujours mes professeurs. Je le regrète maintenant. Une chance que le Capitaine n'était pas comme moi !
Ainsi devisaient nos héros, après l'heureux dénouement des événements ; gais et insouciants, confiants en l'avenir.
Pendant ce temps, la Sirène aux pouvoirs maléfiques, de rage envoya dans les profondeurs son peigne d'or encrusté de nacre et de perles, cadeau d'un roi légendaire.
- Ah ! Ça ne se passera pas comme ça ! Maudit Hollandais ! Tant que cela est en mon pouvoir, jamais tu n'atteindras les côtes hollandaises ! Mais d'abord je dois m'occuper de la vieille sorcière qui t'a aidé !
Sans perdre un instant, elle nagea vers la surface, se dépouillant de ses attributs de Sirène et prit forme humaine. D'un pas allèrte, elle parcourut les rues de la ville et parvint à une allée sombre et malodorante. Arrivée à peu près au milieu, elle fit halte devant une habitation basse dont la porte tenait à peine sur ses gonds. La Sirène des mers poussa le battant vermoulu et pénétra dans une cour minuscule et humide. On aurait dit un vrai cloaque. Des ordures en décomposition s'entassaient un peu partout depuis des années, les murs s'écaillaient, et des morceaux de plâtre risquaient de tomber sur le visiteur à tout moment. Les odeurs nauséabondes agressaient les narines et un être normalement constitué ne s'attarderait pas à cet endroit. Faisant fi du décor décrépi et des odeurs, la Sirène s'avança et entra dans une pièce sombre au fond de cette cour.
La Sirène tourna ses regards autour de la pièce. Dans un coin obscure, une forme indistincte bougea. Instinctivement, la créature marine fit un pas en arrière, juste à temps pour éviter un jet bleu qui, comme un éclair traversa la pièce de part en part et alla heurter un tas d'ordures le pulvérisant entièrement.
- Toi, enfin ! siffla une voix caverneuse sortant des ténèbres. Bien venue dans mon antre !
Au son de cette voix qu'elle n'avait pas entendu depuis des siècles déjà, la Sirène des mers chancela. Le premier choc passé, elle murmura une incantation, se mettant à l'abri d'une nouvelle attaque. Elle s'éfforça de retrouver son calme mais sa respiration précipitée trahissait sa surprise et son appréhension. Elle était clouée sur place.
- Approche ! Approche ! poursuivit la voix. Viens plus près, petite soeur ! Viens contempler ton oeuvre, petite soeur !
La forme obscure se mit à rire. Doucement au début ; puis, son rire se transforma à un rire strident et horrible, se heurtant sur les murs, s'amplifiant dangereusement, perçant les tympans humains.
Le canot avec à son bord le Hollandais volant et ses compagnons, toucha terre au moment où le soleil déclinait à l'horizon. Les passagers débarquèrent et le Capitaine suggéra qu'on passât la nuit à l'auberge du port avant de repartir le lendemain matin vers leur Vaisseau. Ainsi fait, ils prirent leurs dispositions pour la nuit et se retrouvèrent autour d'une table pour le repas du soir. Le Capitaine avait évité toute question relative à la disparition de l'équipage et tous brûlaient d'impatience en attendant qu'il racontât où étaient partis les marins du navire. Le dîner prit fin et le Capitaine ne fit aucune allusion. N'y tenant plus, Phyllis téméraire osa avancer.
- Puisque nous avons le miroir, pourquoi ne l'interrogeons-nous pas sur ce qui s'est produit sur le navire ?
L'immense voilier du Hollandais volant se dressait entre ciel et eaux, silhouette fantomatique et solitaire. Aucun mouvement à son bord. Un silence inhabituel régnait sur tout le navire. Un sentiment de malaise gagna les passagers du canot lorsqu'il se profila à quelques mètres d'eux. Personne ne parlait. Plus on s'approchait du vaisseau, plus le silence paraissait étrange et inquiétant. Ceux qui tenaient les rames poussèrent plus fort afin d'arriver rapidement à destination. On s'approcha enfin du bâtiment et tout le monde tendit l'oreille pour capter les bruits habituels qui auraient accompagné cette approche. Rien ne bougea.