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Le Défilé de File la Laine - Page 51

  • La Ville engloutie 26 (Le petit Chaperon II)

    Capitaine4.jpgEn entendant cette date, Iris et Phyllis sursautèrent. Le calcul était facile à faire. Si le Capitaine disait vrai, il devait avoir plus de deux cents ans ! A le regarder le Hollandais volant n'en paraissait que trente à peine. Quel était ce mystère ?

    - Cela vous étonne, j'en suis sûr, poursuivit le conteur. Vous pensez que j'ai perdu l'esprit, ou que je raconte n'importe quoi. Avant de tirer des conclusions hâtives, je vous demande de me croire sur parole. Les aventures que nous avons traversées ensemble vous convaincront que je ne dis pas de mensonges.

    Tous hochèrent affirmativement la tête. Aussi incroyable que cela pouvait sembler, le Capitaine venait d'une autre époque.

    - Poursuivez, je vous en prie, osa la maman du petit Chaperon rouge.

    - Merci, fit-il avec un léger sourire. Nous offrîmes des funérailles descentes à notre ami et je partageai ses maigres affaires personnelles entre mes compagnons comme le veut la coutume pour ceux qui périssent en mer. Puis, je donnai l'ordre de poursuivre notre route. Selon mes calculs, six jours plus tard, nous verrions se profiler les côtes françaises.  Le temps se calma, le soleil tardait ses rayons brûlants et la mer était d'huile.  Au début, je ne doutais pas d'arriver à bon port. Mais, les jours s'écoulèrent lentement, dans une extrème tension et je devais faire face au mécontantement de mon équipage.  Six jours après que nous avions essuyé la tempête, aucune terre ne se profila à l'horizon. Je refis mes calculs, persuadé que nous avions, dans la tempête dévié de notre route. J'ordonnai à mes hommes de virer de bord, les accusant de négligeance. Je les traitais durement, n'écoutant pas leurs protestations, persuadé de regagner bientôt l'Europe. Mon arrogance fut payé au prix fort.  Le désespoir gagna mes hommes. Nous redoublâmes d'efforts, et bien que cela en coûtait à mon orgueil, je demandai conseil aux plus anciens pour retrouver notre route. Une force invisible semblait nous ramener à notre point de départ, entre ciel et eaux. Quels que fussent nos efforts, mon équipage et moi ne pûment toucher terre qu'après des années d'errance. Durant des mois, nous errâmes sans but, incapables de nous diriger correctement. La mer fut notre territoire, les embruns notre quotidien et le sel marin s'infiltrait jusque dans le pain que nous mangions. J'ai su plus tard que mon navire était condamné à parcourir les mers sans repos. La première fois que nous touchâmes terre, nous tombâmes tous à genoux pour rendre grâce au Seigneur de Sa miséricorde. Mais la force invisible qui semblait gouverner désormais le navire et nos destinées, se mettait en oeuvre et une semaine à peine après être descendus sur terre, nous nous retrouvions à nouveau balottés par les lames des fonds. Ce calvaire durait depuis une éternité. Nous nous résignâmes à notre triste sort, et nous pensions être damnés pour toujours. Jusqu'au jour où, durant une de ces brèves escales qui nous rendaient le voyage encore plus amère, nous rencontrâmes Phyllis et ses compagnons.

    Le Capitaine cessa un instant son histoire et ses yeux se remplirent de nostalgie.

    - Je ne vous raconterais pas ce que vous connaissez déjà. Cependant, depuis lors, un vent nouveau souffla sur le vaisseau. L'air devint plus léger, plus réspirable. La mer plus facile à fendre à l'étrave, le soleil moins brûlant et plus chaleureux. Les côtes s'approchèrent, nous permirent de les accoster, de les visiter ! Mon équipage et moi-même n'osions y croire au début de peur d'être à nouveau victimes d'un mirage. Victimes de ces "fada morgana" qui se produisent parfois en haute mer. Jour après jour nous graignîmes de nous réveiller seuls sur notre vaisseau fanôme. Mais les mois passèrent et nous fîmes cap vers l'Europe. Et malgré le passage difficile de Douarnenez, nous touchâmes le sol béni de notre patrie par deux trois fois ! Nous arrivâmes enfin, en Hollande !

    Le Hollandais les regarda un à un à tour de rôle. Il sourit tristement. Puis, il leva le bras et montra d'un geste autour de lui.

    - Apparemment, le Seigneur a eu pitié de nous et nous a permis de regagner notre pays . Nous arrivons au bout de nos peines. Notre route s'achève comme elle a commencé.  Lentement, au fur et à mesure que les jours s'écoulent, les objets du navire retournent à la poussière où ils devaient y parvenir depuis pas mal de temps déjà. D'abord ce fut les petits objets, puis les vêtements, les meubles. Tout retourne au néant auquel il appartient. Bientôt, mes hommes et moi-même ne serons qu'un pâle reflet de ce que nous fûmes jusqu'à disparaître de la surface de la terre.

    Ce disant, il se leva et se plaça devant la lumière que diffusait une des lampes. Avec horreur l'assistance pu voir à travers le corps du Hollandais. Phyllis se mit à pleurer doucement, Iris serra fort Platon entre ses bras, et même le Cracheur de feu écrasa une larme qui menaçait de couler sur ses joues.

    - Ne soyez pas tristes mes amis, poursuivit le Capitaine. Notre fin ne doit pas vous chagriner. Au contraire ! Soyez heureux ! Car nos pauvres âmes torturées trouverons enfin le repos et tous ceux qui nous ont été chers et que nous n'aurions dû jamais quitter. La poursuite de notre existence fut une abomination. Grâce à ta gentillesse Phyllis, ta tendresse et ton optimisme nous goûtrons au repos. Nos fautes nous ont été pardonnées.

    Il s'approcha de la petite fille et maladroitement, la prit dans ses bras. Il déposa un baiser sur son front, puis alla serrer la main du Cracheur de feu et d'Iris.

    - Notre temps est proche. Cependant, il me reste encore quelque chose à faire avant de vous dire définitivement adieu, conclut-il. Retournez vous reposer pour l'instant. Demain nous verrons bien.

     

  • La Ville engloutie 25 (Le petit Chaperon II)

    Bateau pirate1.jpg Un vent froid qui glaçait les os s'était mis à souffler depuis quelques heures et le grand navire amaré au port se balançait sur ses attaches poussant des grincements abominables. Dans leur cabine, Phyllis le petit Chaperon rouge et sa maman, n'arrivaient pas à dormir. Elles décidèrent de sortir sur le pont, car il leur sembla que l'atmosphère était confinée à l'intérieur.

    - Ne réveillons pas Océane, murmura Iris à sa fille. Laissons-la se reposer. La disparition du Pêcheur a éprouvé ses nerfs. Elle est encore jeune et elle se remettra très vite. Cependant, le sommeil lui fait du bien. Allons !

    Quelque temps plus tard, tenant une tasse de chocolat chaud, elles s'installèrent dans la pièce commune du navire où Iris proposa de lire une histoire au petit Chaperon rouge. Assises  toutes les deux, dans le sofa, elles se plongèrent dans Les Aventures de Peter Pan. A peine quelques pages lues, que Phyllis  interrompit la lecture.

    - Tu as entendu, maman ? Chuchota-t-elle effrayée.

    - Quoi donc ?

    - On dirait des pas provenant au dessus de nous.

    - C'est peut-être l'homme du quart qui fait sa ronde, la rassura sa mère. Continuons, veux-tu ?

    A peine elle reprit sa lecture, que Phyllis sursauta une nouvelle fois.

    - Écoute, maman !

    La maman du petit Chaperon tendit l'oreille et perçut un léger frottement comme si quelqu'un se déplaçait avec précaution sur le pont.

    - Allons voir qui peut-ce être ! proposa Phyllis.

    - Je ne crois pas que cela soit une bonne idée. Il y a trop de vent et la température est basse. Tu risque t'attraper froid et tomber malade.

    - S'il te plaît, maman chérie !

    - S tu insistes, allons trouver le Capitaine.

    Arrivées devant la porte du Capitaine, Iris frappa légérement sur le volet et la porte s'ouvrit immédiatement. La silhouette massive du Hollandais volant se dessina à l'embrasure.

    - Excusez-nous Capitaine de vous réveiller si tard, mais Phyllis a cru entendre quelqu'un se déplacer furtivement sur le pont. J'ai préféré vous en avertir plutôt que de nous lancer à la recherche d'hypothétiques intrus par ce froid glacial. Nous n'arrivions pas à dormir et j'ai pensé qu'une boisson chaude et une bonne lecture nous aideraient.

    Le Capitaine s'écarta du seuil et invita d'un geste Phyllis et sa mère à entrer dans sa cabine. Le petit Chaperon était venue à plusieurs reprises mais dès qu'elle fut à l'intérieur elle regarda étonnée autour d'elle.

    - Capitaine, qu'est il arrivé à votre cabine ? s'écria-t-elle. On dirait... Je veux dire, où sont vos affaires ?

    En effet, à part sa couchette, tout le reste de l'ameublement avait disparu. Plus de table de travail, aucun instrument de navigation, pas le moindre petit papier.

    - Allons dans la salle commune, suggéra le Hollandais. Nous pourrons discuter plus tranquillement. dit-il en refermant la porte de sa cabine et en accompagnant Phyllis et sa mère vers la salle commune.

    Fille et mère s'assirent et le Capitaine les pria d'attendre son retour.  Peu après, il revenait accompagné du Cracheur de feu. Puis, il alluma deux lampes à pétrole supplémentaires malgré le fait que la pièce fût déjà suffisamment éclairée. Il s'assit face à ses hôtes et pour la première fois, Phyllis constata que le Hollandais était d'une blâncheur inhabituelle. Les traits de son visage étaient tirés, et sous les yeux apparaissaient des cernes bleuâtres. Se penchant vers sa maman, le petit Chaperon lui signala la pâleur du Capitaine.

    - La mort prématurée du Pêcheur nous a tous afféctés, commença le Hollandais volant. Il est vrai que nous nous sommes tous attachés à cette homme généreux, courageux et fidèle. Néanmoins, malgré le chagrin et la tristesse que nous éprouvons, nous devons accepter cette disparition comme un élément de la vie. En général, nous autres marins, avons l'habitude de côtoyer la mort puisqu'elle fait partie de notre lot quotidien.  Cependant, depuis la disparition du Pêcheur, un certain nombreux d'incidents qui me touchent de près, sont survenus et  il est venu le moment de vous en parler.

    Le ton du Capitaine était sérieux et solennel et chacun resentit la gravité de la situation. Phyllis se demanda ce que tout ce discours signifiait mais n'osa pas poser de questions. Iris, prit la main de sa fille et la serra très fort. Le Cracheur de feu, bougea sur son siège comme s'il était inconfortable. Le Hollandais les regarda l'un après l'autre avant de poursuivre.

    -  Lorsque j'ai pris sous mes ordres ce navire que vous connaissez bien, j'étais un jeune Capitaine ambitieux et écervelé. Mon seul soucis à l'époque, était de me faire un nom. Parcourir le monde, devenir célebre et riche étaient mes seuls objectifs. Ma soif de richesse et de pouvoir n'avait d'égal que mon désir de montrer au monde de quoi j'étais capable.  Rien, ni personne pouvaient me détourner de mes objectifs. Pour y parvenir, je n'hésitais devant rien. Un soir de tempête, où nous contournions le cap africain, mon équipage me signala que nous risquions d'échouer si nous ne faisions pas demi tour. Nous venions de Soumatra où nous avions chargé des marchandises, faisant route vers la Hollande. La prudence aurait du l'emporter, et j'aurais du changer de cap. Au lieu d'écouter le bon sens et me diriger vers les Indes, j'ai insisté pour continuer. Mon capitaine en second se mit en colère et nous nous disputâmes. La dispute dégénera et le second tomba sans connaissance au milieu de la salle commune. Le médecin du bord constata son décès entouré de l'équipage. Personne ne s'opposa désormais à mes décisions. Nous poursuivîmes donc notre route. Mais le jour suivant, lorsque la tempête retomba, force me fut de constater que nous étions perdus. C'était en l'an de grâce 1775.