Le vent gonflait les voiles du grand vaisseau et la mer écumeuse se fendait en deux sur son passage. L'équipage occupait son poste habituel et le Capitaine prit un moment pour souffler et discuter avec ses amis qui profitaient du beau soleil assis sur le pont. Phyllis, le petit chaperon rouge se contemplait dans le miroir enchanté que le Capitaine lui avait offert ; Océane, l'enfant de la Haute-mer lisait un recueil de poésies et le Pêcheur était en train de sculpter une pipe dans un morceau d'écume de mer qu'il s'était procuré en ville. Le Cracheur de feu comme à son habitude s'essayait à de nouveaux tours de magie et Platon l'agneau le secondait dans ses activités.
Phyllis rangea son miroir enchanté et s'approcha du Hollandais volant ? Elle mit sa minuscule main blanche dans celle de l'homme et lui sourit.
- Quand est-ce que nous arrivons à Amsterdam ?
Le Capitaine lui sourit en retour et de sa main libre caressa les cheveux blonds de la fillette.
- Dans deux ou trois jours, si le vent se maintient.
- Cela fait longtemps que vous n'êtes pas retourné ?
- Un certaine temps, oui.
Et comme pour lui-même, il ajouta : "Je me demande si je reconnaîtrais les lieux..."
En entendant cette réflexion, Phyllis s'étonna.
- Comment pourriez-vous ne pas reconnaître votre ville natale ! Je suis certaine que si je rentrais chez moi, je reconnaîtrais tout et tout le monde !
Le Capitaine sourit tristement.
- Vous êtes triste ! Pourquoi ? Vous n'êtes pas heureux de retourner à la maison ?
- Cela fait si longtemps que je suis absent, que je doute de trouver quiconque de mes connaissances encore vivant. La ville, le pays entier ont du changer ! Je suis seul à rester depuis au jour de mon départ !
- Quel étrange discours ! A mon avis vous ne devriez pas vous en inquiéter. Vous verrez, tout ira bien.
Le Hollandais regarda avec tendresse la petite fille. Tant de choses avaient changé depuis que cette enfant était entrée dans sa vie ! Des événements extraordinaires s'étaient produites. Son coeur fit un bond dans sa poitrine. Il lui semblait que Phyllis avait modifié le destin ! A cette pensée, le Capitaine, poussé par une envie irrésistible, se pencha et déposa, reconnaissant, un baiser sur le front du petit Chaperon rouge.
- Si je pouvais avoir un enfant un jour, j'aimerais que ce soit toi, Phyllis ! dit-il d'une voix qui tremblait d'émotion.
Touchée de cet aveu, Phyllis se tut. Elle comprenait l'émotion de son ami. Parfois, elle aussi, elle aurait aimé que le Hollandais fût le père qu'elle n'avait jamais connu. Ils restèrent ainsi silencieux, se tenant la main, regardant les eaux profondes de la mer du Nord. Un moment s'écoula avant que la petite fille ne se décidât à parler.
- Capitaine, vous ne voulez pas savoir ce que contient la bourse que le vieil homme vous a confié ?
- Je préfère ne pas le savoir, Phyllis. D'ailleurs, j'ai donné ma parole. Personne ne doit ouvrir la bourse excepté celle à qui elle est destinée.
- Oh ! je ne veux pas que vous l'ouvriez ! s'empressa de préciser le petit Chaperon. Mais je pensais qu'il pouvait s'agir d'un nouveau piège de la Sirène des mers. Je la soupçonne d'être mêlée à tout ça !
- Eh bien, moi aussi je l'ai pensé. Mais j'ai mes raisons de croire que cette fois-ci, la Sirène des mers nous laissera tranquilles pour un moment.
En attendant cela, le Pêcheur qui assistait à la conversation depuis sa place sans oser intervenir auparavant, se permit de questionner.
- Comment pouvez-vous en être sûr, Capitaine ? La Sirèene s'est montrée très ingénieuse. Si par malheur le vieil homme est son complice, nous devons nous attendre à des problèmes.
- Il est hors de questions que nous ouvrions la bourse ! Nous irons à l'adresse indiquée sur la lettre et nous remettrons l'objet à qui de droit, répliqua fermement le Hollandais.
- Capitaine, nous sommes d'accord avec vous. Mais ne pourrions-nous pas jeter un coup d'oeil à cette lettre ? Histoire de regarder l'adresse ?
Tous acquiescèrent à cette proposition. Trouvant cela raisonnable, le Capitaine fut d'accord et sortit la lettre de la poche de sa veste et l'examina. Il s'agissait d'une enveloppe en papier grossier, jaunâtre comme du parchemin. Aucune indication n'apparaissait à l'extérieur. D'un geste vif, le Hollandais déchira l'enveloppe et l'ouvrit. Un petit message tomba sur le plancher qu'Océane récupera et tendit au Capitaine. Il était protégé par un sceau de cire rouge et au dos, d'une écriture pâlie par les ans, on pouvait lire une adresse à Amsterdam. Il indiquait une petite impasse près d'Oude-Zijds Voorburgwal.
- Je crois savoir où se trouve cette impasse, précisa le Capitaine. Amsterdam n'a pas dû changé tant que cela après tout !
- Je hâte d'y être ! dit Phyllis.
La journée passa très vite. Le soir venu, Océane écoutait Phyllis faire des conjectures sur la ville d'Amsterdam et ce qu'ils allaient trouvé lorsqu'ils arriveraient. L'impatience de Phyllis rendait Océane nerveuse.Elle hésita avant de se confier à son amie.
- De quoi as-tu peur ?
- A Amsterdam nous allons quitter le navire, nous partirons à la découverte de l'Europe, n'est-ce pas ?
- Sans doute ! Nous réaliserons nos projets. Tu sais que le Cracheur de feu a tout organisé : nous aurons une roulotte comme celles qu'on a vu sur Ker Is. Nous découvrirons les plus grandes capitales d'Europe !
Son amie la regarda avec tristesse.
- Phyllis ! Nous devrions quitter le navire !
- C'est normal, non ? Si nous voulons parcourir l'Europe.
- Réfléchis ! Quitter le navire signifie que nous n'allons plus revoir le Capitaine ! Il n'a jamais était question qu'ils nous accompagne dans nos périples !
A cette affirmation, l'enthousiasme de Phyllis retomba comme un ballon qu'on dégonfle.
- Tu as raison ! Je n'avais pas envisager les choses de cette manière...
- Voilà ce qui me fait peur. Qu'allons nous faire sans lui ? Comment ferons nous si un danger se présente ? Non pas que je n'ai pas confiance au Cracheur de feu, s'empressa-t-elle à ajouter, mais le Capitaine a su nous sortir des pires situations. Il dirige tout avec beaucoup d'intelligence et de sensibilité, il nous protège et s'occupe de nous ! Un peu comme... un père le ferait.
- Oui, convint le petit Chaperon rouge. Mais tu ne dois pas t'en faire. Il suffit que nous lui demandions de nous accompagner ! Il viendrait avec nous, qu'est-ce que t'en penses ? Dès demain nous lui en parlerons. Nous verrons bien ce qu'il va nous dire. Dormons à présent.
Phyllis et Platon ne tardèrent pas à s'endormir profondément. Océane resta éveillée à réfléchir jusqu'au petit matin où enfin,épuisée elle se laissa aller dans les bras de Morphée.