Bouleversés, le Capitaine du vaisseau, le Cracheur de feu et le Pêcheur, éloignèrent Platon et Océane de la cabine du loup, et sécurisèrent l'entrée pour que l'animal ne puisse pas s'échapper. Un homme de l'équipage fut chargé de monter la garde devant la porte. Puis, nos compagnons s'enfermèrent dans la salle commune pour réflechir à l'attitude à tenir.
- Le loup ne semble pas agréssif, comença le Cracheur de feu. A mon avis, un maléfice a transformé Phyllis en animal sauvage. Il faudrait trouver le moyen de lui rendre son apparence de petite fille. Sans elle, rien n'est pareil.
- Il est primordial de connaître comment cette métamorphose s'est produite pour trouver un remède. Qui avait intérêt à faire disparaître Phyllis ? Qui essaye depuis un bon moment déjà de nuire au vaisseau et à son équipage ? Il m'est d'avis que nous connaissons cette créature, ajouta le Capitaine. C'est la même personne qui a tenté de saboter le navire ! La même qui a essayé de faire enlever Phyllis afin d'accomplir son oeuvre dévastateur !
A ses mots, tous se regardèrent entre eux, puis ils fixèrent le Pêcheur. Ce dernier se leva d'un bond.
- Vous pensez que la Sirène est responsable de la transformation de Phyllis en loup !? Comment elle s'y serait prise pour cela ? Il faut une puissante incantation pour y parvenir, une force magique importante !
- Peu importe les moyens. L'essentiel c'est que Phyllis n'est plus une petite fille mais une bête sauvage. Il faut trouver quelqu'un susceptible de nous aider. Il faudrait appeler la Sirène, discuter avec elle, lui proposer sa collaboration. Je pense que la seule la personne qui peut se charger de ce travail, c'est vous.
- Je ne saurais quoi faire, quoi dire, protesta le Pêcheur. Rien ne garantit qu'elle viendrait si je l'appelle, et je ne suis pas sûr qu'elle voudrait discuter avec moi ! Il est préférable ce soit vous, Capitaine qui engagiez les pourparlers avec elle.
- Il est possible que vous ayez raison : vous êtes impressionnable et vous risquez de tomber à nouveau sous le charme dévastateur de la Sirène, en oubliant pourquoi nous la faisons venir. D'abord, vous allons l'appeler ; vous êtes le seul à savoir comment procéder. Ensuite, une fois la Sirène arrivée, je vais négocier avec elle. Il faudra nous prémunir contre ses sortilèges, éviter de la regarder en face, garder le regard baissé. Si elle nous propose un marché, le refuser sans hésitation. C'est à nous de poser nos conditions. Il faut rester prudents ! On ne peut tromper facilement un être aussi ancien que la Sirène. Cependant, j'ai une idée pour nous protéger tous contre la séduction de la Sirène. Cracheur de feu, j'aurais besoin de ton art pyrotéchnique !
Sans tarder, le Capitaine expliqua au cracheur de feu ce qu'il attendait de lui. On s'activa tous pendant une heure environ. La tempête s'était éloignée et la nuit devint calme. L'aube était encore loin, mais le Capitaine craignait que l'aurore ne les surprît avant d'avoir terminer les préparatifs. Enfin, ils furent prêts. Autour du grand mât, le Cracheur de feu avait placé un cercle qu'il devait alimenté de feu lorsque la Sirène apparaîtrait ; Le Capitaine et le Pêcheur seraient à l'intérieur du cercle incandéscent. La lueur des flammes empêcherait les deux hommes de voir au delà du cercle le visage de la Sirène. Quant à la créature marine, elle ne s'aventurerait pas à s'approcher des flammes.
Les deux hommes prirent place à l'intérieur du cercle, et le Pêcheur parla dans une langue inconnue. Sur le coup, rien ne se produisit. Il réitéra sa demande dans la langue étrange. Soudain, on entendit un bruit de vagues déferlant sur la coque du navire et un éclaire verdâtre brilla dans l'océan et les eaux se fendirent en deux. Du fond des profondeurs, surgit une tornade de cheveux dorés, un visage d'une beauté sublime, un corps parfait, et le visage de la Sirène s'immobilisa à quelques centimètres du cercle ardent.
- Qui trouble mon repos ? tonna la voix mélodieuse et ensorcelante de la Sirène ?
Son regard ne pouvait voir au delà du cercle de feu qui entourait les deux hommes. La chaleur lui brûlait désagréablement la peau et elle récula.
- Je suis le Capitaine de ce vaisseau, ô Sirène ! Je vous ai appelé pour vous proposer un accord.
- Mon temps est précieux et un accord avec un pauvre mortel ne m'intéresse pas !
Elle fit mine de plonger dans les flots, mais la voix du Capitaine la rappela.
- Rendez à Phyllis son apparence humaine, sinon je jure que je dévoilerai votre nom aux quatre vents, d'Est en Ouest, du Nord au Sud !
Contrariée, la Sirène tenta encore une fois de voir l'homme qui lui parlait.
- Comment peux-tu savoir mon nom ? Je ne te l'ai jamais dit !
- Vous, non ! mais je le sais. Et si vous ne me dites pas comment Phyllis retrouvera son apparence humaine, je le ferais connaître dans tous les ports, dans toutes les mers et les océans ! Votre magie est puissante, mais la magie qui me retient prisonnier avec mon équipage sur ce Vaisseau est encore plus puissante. Vous ne trouverez jamais plus le repos si vous refusez de faire ce que je vous demande.
La Sirène bâtit en retraite. Le Capitaine volant semblait sérieux. Ce Hollandais maudit avait le pouvoir de crier son nom aux vents qui le transporteraient aux quatre coins du globe. Le silence s'éternisa. Enfin, la créature prit sa décision.
- Je vous dirais comment rendre à l'enfant son aspect primitif, si vous me donnez en échange le Pêcheur que vous avez sauvé de la noyade. Je vous laisse vingt-quatre heures. Demain, à la même heure, je reviendrai récuperer mon dû. Sinon, la petite fille restera à jamais une bête sauvage !
Sans d'autres mots, enveloppée dans une lumière verte, la Sirène plongea au plus profond de l'océan et disparut.