Le Défilé de File la Laine - Page 79
-
Les petits Chevaux de Bois
-
La Lettre
Quel fut l’instant où l’univers s’est restreint à son seul regard, à son seul sourire ? Quel fut l’instant où le monde tout entier fut absorbé par le seul espace de son corps ? Quel fut le moment, cette seconde fatidique où tous les autres se sont transformés en ombres évanescentes pour ne laisser place qu’à un seul être ? Quand cela s’est-il produit ? Et à quel moment ? Que s’est-il passé ? Que sais-je ? Que m’importe ?
Je n’ai pas le temps de le comprendre, pas le temps de le savoir, de consacrer mes heures à méditer sur la situation. Car, je vis dans l’urgence. L’urgence de le voir, de lui parler, de l’approcher, de le contempler. Son nom ? Un souffle apaisant sur mon cerveau enfiévré, une caresse consolatrice sur mon cœur meurtri. Son nom, quelques lettres éparses, quelques sonorités abstraites qui, assemblées, forment mon unique univers.
La vie d’avant (y en a-t-il eu une ?) n’était que succession d’instants, d’événements, de rencontres, de sourires et de larmes, vite passés, vite remplacés, vite oubliés. Elle semblait inaltérable, inaliénable. Puis…
Un matin, rien d’autre n’avait de l’importance à part ce désir dévorant d’être près de lui, avec lui, de ne plus être hors de sa présence, de son amour. Le reste n’avait plus d’importance ; le reste, était le fardeau à porter pour être avec lui, et continuer à le voir, à lui parler, à vivre quelques moments fugitifs près de lui. Et il va partir, sortir de mon quotidien, s’aventurer vers un ailleurs dont je n’en ferai pas partie, il évoluera dans d’autres lieux où je ne pourrai pas avoir accès. Je ne pourrais plus le voir ni lui parler ; je n’entendrai plus les sonorités chaudes de sa voix si particulière. Je resterai seule dans l’espace vide laissé par son corps absent, seule, avec le manque, avec la détresse pour seul compagnon, malheureuse et à jamais triste. Il part ! Et je ne peux le garder, je ne puis l’accompagner…
-
Qui a dit que le silence est d'or?
- Dis, Laëticia, je peux te demander un petit service ?
Aie ! Quand ça commence comme ça, c'est mauvais signe. Surtout lorsque la voix devient mielleuse style hall de gare pour vous annoncer que votre train à destination de votre station d'hiver est annulé pour cause de tempête et que vous raterez deux jours sur les quatre que comptent vos vacances au ski, et qu'il faudra compléter une tonne de paperasses et passer un temps fou à négocier par conversations téléphoniques interposées - si les lignes marchent encore malgré l'effet du blizzard sur les antennes relais, conversations qui vous coûteront les yeux de la tête, dépassement de forfait etc. et j'en passe - pour se faire rembourser de quelques malheureux euros mais pas la totalité; c'est pour ça qu'ils font payer des arrhes : pour assurer leurs arrières et l' arrière saison morte par la même occasion, à vos dépens.
La question venait de la part d'une collègue (sympa sous tous rapports par ailleurs), mais qui avait tendance à s'attarder un peu trop sur ses besoins personnels et un peu moins sur les besoins des autres.
- M'vouiiiii ? (Soyons peu loquaces, sa dissuade les familiarités) Ça dépend lequel. ( Ne pas croiser son regard surtout ) Et tu remarqueras, je ne promets rien (ton froid et ferme).
Sages précautions avec certaines personnes. On n'est jamais trop prudent. Dommage que cela ne marche pas à tous les coups.
- Tu finis à quelle heure habituellement le lundi ? (Pourquoi tu veux m'inviter à manger chez toi?) Parce que, tu sais cette mission aux locaux de la région qui est à faire le 28 ? (Non, et je ne veux pas le savoir!) J'ai vu le chef qui est d'accord (on a succombé à notre charme irrésistible?), si toi t'es d'accord bien sur (cause toujours), mais il ne devrait pas y avoir de problème puisque tu habites juste à côté ( Nan! Seulement une petite heure en transports en commun et une bonne heure à pieds) et que ça t'éviterais de perdre du temps pour te déplacer à venir jusqu'ici (j'en aurai pour vingt minutes grand maximum et j'aime perdre mon temps), vu que tu habite si près (tu devrais réviser tes notions de géographie), et tu pourrais finir plus tôt (c'est-à-dire 7h 20 au lieu de 7h30 ?) ; alors que moi, tu comprends (tout le monde sait qu'il faut me le répéter dix fois pour que ça imprime), ça m'obligerais de prendre ma voiture (sûr, faut pas user les pneus un moment de récession), passer un temps infini à chercher à me garer (gare-toi en épi c'est plus facile et plus rapide) ; en plus ce jour-là, c'est justement mon après midi de congés(encore!), tu vois, ( je ne vois rien du tout)et j' avais prévu autre chose, tu vois, (ça devient inquiétant, va falloir que je consulte) et si ça t'embête pas d'aller à ma place, je te revaudrai ce service. Parce que, tu vois (là je suis carrément aveugle), c'est quand même pas juste que ce soit moi qu'il y aille ; après tout, c'est vrai que tu es plus près et que ça t'éviterais de passer deux heures aller- retour ce jour-là pour venir ici, au bureau alors que tu peux bosser juste à côté de chez toi, non ? (Tant de sollicitude m'émeus) En plus t'as pas de congés en ce moment. Évidemment si tu ne veux pas, t'es pas obligée (m'as-tu laissé le choix?) ; mais avoue que ça pourrait nous arranger toutes les deux ! Qu'est-ce que tu en penses ?(silence)Tu acceptes alors! (j'ai rien dis encore!) J e l'avais dit au patron! Merci Laëticia, tu es une vrai copine!
-
Flute ! J'ai manqué un épisode...
II
- Dépêche-toi Laêticia ! On va être en retard !
C'est ma copine Christiane et aujourd'hui, elle est de mauvaise humeur. C'est toujours le cas quand elle a ses jours ou quelque chose cloche, sinon elle m'aurait appelée Laët comme d'hab ( Prière de prononcer le t afin d'éviter quelques sous-entendus déplacés).
Oh la la ! Je suis à la bourre ! (Je vois d'ici quelques sourires venant d'esprits tordus et mal-versés. J'ai dit : à la bourre et non à labour ! )
Chris et moi, on fait du covoiturage pour préserver la planète et laisser un bel héritage à nos enfants (à nous deux nous en avons six). On passe prendre notre copine Joss et nous arrivons au boulot ensemble toutes les trois. Comme ça c'est plus marrant en plus de faire des économies. Mais aujourd'hui, Chris n'est pas dans son assiette et je dois accélérer le mouvement.
Je claque la porte rapidement, je tourne la clef vite, je descends les quelques marches du perron précipitamment, j'en rate une, je me tords la cheville, je tombe, mon sac imitation Vuitton acheté au marché -oui, comme celui d' Isabelle Adjani dans la pub- m'échappe des mains, le contenu s'éparpille et décide de jouer à cache-cache à cette heure matinale et indue, en roulant exprès sous la voiture là où je ne peux pas l'attraper ce qui oblige des manœuvres à n'en plus finir, Chris qui piaffe sort pour m'aider, je me relève péniblement, je défroisse mes frusques triomphante, pour constater que mon talon s'est cassé, le traître ! Va falloir changer de godasses au plus vite, récupérer Joss au vol car nous sommes vraiment en retard, là ! Les collègues nous regardent de haut d'un air entendu, nous les ignorons magistralement d' un regard méprisant qui en dit long, avant de nous glisser à nos postes.
Tout compte fait, je ne sais pas pourquoi, mais soudain, j'ai comme une envie d'étrangler Chris ce matin. Dire que ces chaussures m'ont coûté une petite fortune en soldes !