Le Vaisseau manoeuvra sous la férule du Capitaine et s'approcha de l'épave accrochée sur les roches au milieu de l'océan. On réduisit les voiles et dans un grincement terrifiant, on jeta l'ancre. Après quelques soubresaut, l'immense navire se stabilisa. Le Capitaine et le Cracheur de feu lachèrent les bouts qui retenaient la barque de secours qui toucha la surface plane de l'eau dans une gerbe d'écumes. Le Capitaine passa le premier sur l'échelle en corde ; mais avant que ses pieds solides ne touchent le fond de l'esquif qui devait les conduire vers le naufragé, il se tourna vers les deux fillettes qui observaient la scène et de sa voix profonde et mélodieuse dit.
- Nous ne serons pas absents longtemps, mais quoi qu'il arrive, je veux que vous restiez sagement à nous attendre dans ma cabine. Utilisez le miroir pour suivre l'évolution de la situation. Quoi qu'il arrive ne faites rien qui pourrait vous mettre en danger. Ai-je votre parole ?
Phyllis se précipita, enlaça le Capitaine, l'embrassa sur la joue et répondit.
- Nous vous le promettons, Capitaine. Prenez soin du naufragé et faites attention à vous !
Embarassé, le Capitaine toussa pour cacher son émotion et finit de descendre suivit du Cracheur de feu. Les deux fillettes et Platon observèrent la barque s'éloigner vers les récifs jusqu'à ce qu'elle soit avalée par une brume étrange qui commença à se lever de la surface marine jusque-là limpide.
- Vite ! Dans la cabine du capitaine, intima Phyllis. Nous devons suivre leur progression dans le miroir !
Ils se pressèrent tous les trois vers la porte de la cabine et s'installèrent devant le miroir enchanté qui se troubla d'abord avant de laisser paraître les deux occupants de la barque qui ramaient autour de l'épave. Le Capitaine mania le gouvernail pendant que le Cracheur de feu continuait à pousser les rames. Ils firent le tour des rochers pour trouver le meilleur angle d'approche. Puis, le Capitaine prépara un filin qu'il avait apporté et la barque se trouva accrochée sur les rochers. Tirant sa veste et ses bottes, il entra dans l'eau et avec précaution il nagea vers le navire éventré. Une fois sur place, il prit appui sur les pierres qui emprisonnaient la coque et se hissa sur les brisants. Chaque minute sembla une éternité au petit Chaperon et ses compagnons. Mais le Capitaine se pencha, et extirpant un corps piégé entre la nef et la roche, le hissa sur ses épaules. Il entreprit de revenir vers le canot où attendait le Cracheur de feu, mais le sol et les asperités ralentissaient sa marche alourdie par le poids du naufragé. Avec mille précautions, après une très lente progression, il se remit à nager vers la barque en tractant la victime derrière lui. Arrivé à la hauteur du canot, le Capitaine laissa le Cracheur de feu tirer le corps hors de l'eau avant de se hisser lui aussi à bord. Ils reprirent la direction du vaisseau où quelque temps plus tard, ils allongèrent sur le pont leur étrange fardeau.
C'était un vrai bonheur de constater combien Phyllis et Océane s'entendaient bien. Physiquement, les deux fillettes étaient comme le jour et la nuit : les cheveux de Phyllis avaient la couleur d'un miel dorée et descendaient en cascade bouclée sur ses épaules. Ses lèvres rose souriaient et illuminaient ses beaux yeux violets. Océane était brune. Sa peau mâte laissait voir qu'elle venaient d'un pays innondé de soleil. Elle fixait ses interlocuteurs une interrogation dans ses grands yeux noirs. Elles passaient des heures à se raconter leurs expériances solitaires et à comparer leurs souvenirs mutuels. Elles apprenaient à s'apprivoiser. Parfois elle s'amusaient à jouer à cache-cache ou à la corde à sauter et Platon faisait toujours partie de leurs jeux. Une seule ombre ternissait parfois ce tableau idyllique. Lorsque Phyllis évoquer le souvenir de sa maman, le regard d'Océane s'emplissait de tristesse car elle n'avait gardé aucun souvenir de sa propre mère. Le petit Chaperon, perspicace, compris la douleur de son amie et prit la décision d'éviter le sujet.
Après le sauvetage de Platon et de la petite fille océane, le Capitaine fut célébré en héros par les compagnons. Son expérience de la mer et des éléments permirent un tour de force admirable et Phyllis ne tarissait pas d'éloges à son sujet.
- Je...euh, il ne me semble pas l'avoir déjà entendu, dit-elle en rougissant. C'est que...j'ai toujours vécue seule sur mon île. Personne ne venait jamais, et personne ne m'appela par mon prénom. Du moins, si c'est le cas, je ne garde aucun souvenir.
